J’avais reçu un nouvel ordre de mission et m’étais empressée de me rendre sur les lieux avec beaucoup de sérieux. Ma mission? Me rendre dans le pays de Kuma, plus précisément au village d’Hagakure, et ramener avec moi le chef d’un groupuscule qui terrorisait la ville et qui commençait à étendre dangereusement son influence. J’avais donc fait le voyage en un peu moins de quatre jours et m’étais arrêtée une ville à l’avance pour prendre une chambre et me préparer au grand numéro qui allait suivre le lendemain soir. J’avais ensuite pris la peine de me reposer et de faire ma toilette complète. J’étais ensuite allée dormir et avait passé la journée du lendemain à la recherche d’informations qui, au final, s’était avérée plus ou moins concluante. Il me faudrait donc m’en tenir au plan de base et espérer de bons résultats, bien que ce ne soit pas ma stratégie favorite. Je demandai à la tenancière de faire monter mon repas et, pendant ce temps, me préparai. Je remontai ma longue chevelure violacée et la maintenu en place d’une broche sertie de petites pierres brillantes. J’enfilai un court yukata qui s’arrêtait à ma mi-cuisse d’un mauve très pâle où l’on avait brodé des fleurs d’un mauve plus foncé. Avec cela, un obi du même mauve plus foncé où l’on avait cette fois brodé des papillons d’un blanc éclatant, ce qui était très pratique pour dissimuler un tanto, dans le nœud. À cela s’ajoutèrent des sandales et c’est à ce moment que l’on m’apporta mon repas, que j’engloutis en deux temps trois mouvements. Je la remerciai de nouveau lorsqu’elle vint récupérer les couverts et lui offrit une poignée de ryos pour la remercier. Je pu ensuite m’asseoir devant le miroir et commencer l’opération maquillage. J’agrandis mon regard d’une habile et fine ligne de noir, maquillai mes lèvres en rouge et blanchit légèrement mon teint, après tout la peau pâle est signe de beauté dans la culture japonaise. Plus qu’à ajuster mon décolleté pour les forcer à s’approcher et mettre quelques gouttes d’un doux parfum floral. J’abandonnai mes vêtements de voyage que j'avais troqués pour mon yukata et me mis en route, sans plus aucun bagage. Pour ce genre de mission il valait mieux voyager léger de toute façon. Je quittai donc la petite ville m’ayant abrité pour faire le reste du chemin jusqu’à Hagakure, ce qui ne me pris qu’une demi-heure de marche.

Une fois à destination, je me laissai guider par le flux de la circulation, débouchant sur le quartier le plus animé de la ville. Les regards commencèrent à effleurer ma silhouette et je continuai à jouer le jeu de la jeune femme seule et admirative de ce nouvel environnement, mais un peu niaise et égarée. Il ne me fallut attendre que quelques minutes pour qu’un homme me propose finalement de l’aide. Je lui dis chercher un endroit ou passer une soirée agréable et animée, un bar où je pourrais me poser et en apprendre plus sur la ville. C’est tout naturellement qu’il passa son bras autour de mes épaules et me guida jusqu’au bar le plus branché de la ville. Bien, j’avais toutes les chances d’y croiser ma cible, un dénommé Kaien et, sinon, je trouverais bien où il se cachait. Plus qu’à entrer dans le rôle de la splendide jeune femme qui recherche argent et pouvoir en faisant monnaie de son corps et le reste se ferait tout seul. Nous y entrâmes en discutant bruyamment et en riant, accompagnés de deux de ses amis et la foule ne broncha même pas. Certes j’étais une étrangère, mais une étrangère plutôt bien fichue et accompagnée qui plus est. Et de toute façon, leur attention semblait tournée vers un jeune homme au bar à la chevelure flamboyante. Tant mieux, me dis-je avant d’aller m’asseoir avec ma petite troupe dans un coin du bar tout en continuant d’alimenter la conversation jusqu’à ce que vienne le moment de commander l’alcool.

- Oh! Laissez moi y aller, Dojima-samaaa~♥! J’ai reçu quelques leçons de la part d’une très fameuse geisha sur l’art de servir l’alcool aux hommes, ne voudriez vous pas une démonstration?

Et voilà tout ce que j’avais eu à dire, prenant un petit air aguicheur, et j’avais obtenu mon congé pour me diriger vers le bar. J’allais pouvoir commencer l’observation, saouler ses imbéciles et les abandonner à leur sort afin de continuer mes recherches. Je m’approchai du bar, m’asseyant aux côtés de l’inconnu aux cheveux rouges comme c’était la dernière place et demandai au serveur du saké pour « notre » table. Puis, je fis mine de remarquer tout juste le rouquin qui, il faut le dire, détonnait du reste du lot. Soit il n’était qu’un étranger de voyage qui n’avait rien à faire là, soit il était un type suffisamment connu ici  pour que tout le monde garde un œil inquiet sur sa personne et c’est donc ce que je devais déterminer. S’il n’était d’aucun intérêt je n’aurais qu’à retourner à la table et me farcir la compagnie des autres pouilleux, de toute façon il faudrait bien que j’y retourne éventuellement, malheureusement pour moi. Parfois je me demandais vraiment si j’avais un avantage ou beaucoup trop d’inconvénients lorsque je me retrouvais forcée de faire la comédie de la sorte. J’espérais sérieusement trouver ce Kaein au plus vite pour me démaquiller et rentrer vite fait à la maison avec ce criminel en état d’arrestation. Comme si je n’avais que ça à faire, jouer les cruches dans un bar. Enfin, pas que je dédaignais l’alcool et les soirées plus tranquilles, mais il y a toujours bien une limite, non?

- Hey, bonsoir! Dis-moi, tu n’as pas l’air d’être comme les autres ici, mais je n’arrive pas à savoir pourquoi. Tu ne voudrais pas me mettre au parfum~♥?

Ainsi, j’étais dans un bar à jouer de charme afin d’atteindre les objectifs de ma mission du jour. Pour ce faire, je n’avais pas hésité à revêtir des atours que je dédaignais plutôt et à me faire passer pour une femme que j’étais loin d’être. C’est donc en compagnie d’un petit groupe d’ivrognes que je pénétrai le bar le plus branché de la petite ville qui était ce soir là bondé. Nous avions pris une table et je leur avais fait faux bond pour aller soi-disant chercher le saké au comptoir. C’est là que je m’étais permise d’accoster un jeune homme qui se démarquait du lot et qui donc était soit un étranger, soit le début d’une piste. À son regard sur ma personne, je su tout de suite qu’il ne se laisserait pas entourlouper comme les autres, celui là était sur ses gardes et ce, dans un bar. Il était donc en plein boulot. Soit un autre ninja comme moi, donc un étranger, donc les gens le tenaient à l’œil, soit un homme de main de Kaein qui veillait sur le bar, donc les gens le regardaient car ils n’étaient peut-être pas aussi satisfaits de ce joug que ce que les apparences extérieurs ne l’avaient suggérés? Hmm. Je pencherais d’avantage pour la première option, ils n’auraient pas posté un seul homme dans le plus gros bar de la ville. Je perdais manifestement mon temps avec celui-là, qui prit la parole. Je restai donc là à l’écouter, jouant mon rôle malgré moi, encore et toujours. Il débuta en me parlant de mon parfum, me dit qu’il n’était pas très répandu dans les environs et qu’une femme aussi belle ne se laisserait pas avoir pas des idiots du genre de mes accompagnateurs. Il ne connait donc pas le stéréotype de la belle fille un peu conne? L’est pas à jour lui dites donc. Il poursuivit ensuite en parlant de mes atouts et nota qu’il était donc aisé pour moi de manipuler les hommes. Je croisai les jambes et appuyai le coude contre le comptoir, puis le menton dans la paume de ma main et adoptai un air de jeune fille attentive et curieuse d’entendre la suite. De loin, il aurait tout l’air d’être en train de me faire un long discours sensé m’embobiner plutôt que d’être en train de percer lentement mais surement ma couverture. Il termina alors son verre et je glissai quelques mots dans le blanc qu’il laissa le temps de commander autre chose.

- Mais encore?

Il reprit donc la parole sans se faire prier d’avantage. Comme il est facile de faire parler un homme, d’autant plus s’ils sont en train de boire et qu’ils ont l’occasion de fanfaronner et de montrer à quel point ils sont supérieurs. Il ajouta donc que j’avais de très beaux yeux, un corps magnifique et un visage à faire envier les anges, il en était pas à sa première fois à complimenter une femme dans un bar et ça se voyait. Il poursuivit toutefois en me disant de regarder autour de moi, le village était pauvre et les gens malheureux. Oui, il était vrai que je détonnais un peu ici, mais bon, dans le pire des cas je pouvais toujours me faire passer pour une oiran et soudainement plus personne ne se poserait de questions, sauf que la seule chose qui attendait les types qui essaieraient de me toucher était la lame cachée de mon tanto. Le jeune homme face à moi me reprocha toutefois de me promener tout sourire avec mes deux ballons, je déduisis qu’il parlait une fois de plus de ma poitrine, sans oser la nommer. Il sembla vouloir conclure en me demandant qui j’étais, ce que je venais faire ici et, surtout, d’où venais-je. Espérait-il réellement que je lui répondrais? C’était hors de question, mais par contre je sentais qu’il allait sans doute me filer un coup de main malgré lui lorsqu’il dit ce qui suivit. Il me dit que je ferais mieux de répondre au plus vite avant que mes amis ne perdent patience car ils n’étaient pas très heureux de me voir lui parler. Oui, voilà ce que je devais faire, causer une bagarre. Les gardes de sécurité allaient montrer le bout de leur nez et ensuite il serait un jeu d’enfant de demander à voir celui qui gérait l’établissement et qui serait donc d’une façon ou d’une autre lié à ma cible, si ce n’était pas ma cible. Je me penchai donc vers l’avant, me rapprochant dangereusement de l’homme à la chevelure de feu, étirant les lèvres en un sourire alors que mon souffle se rapprochait dangereusement du sien.

- En effet, comme ce serait dommage de causer une bagarre.

Et pour ce qui est de la suite, je n’eus qu’à laisser tomber mes paupières et à m’avancer encore un peu avant que nos lèvres ne se frôlent et que j’entende au loin les chaises se faire renverser alors que les hommes avec qui j’étais entrée se dirigeaient sur nous à toute vitesse. Je reculai alors vivement mon visage après ce baiser qui n’avait duré que quelques secondes et le giflai violemment, histoire de le faire passer un peu plus pour le coupable avant de me lever de mon banc et de m’éloigner rapidement, cédant la place aux trois énergumènes complètement remontés qui étaient prêts à le démolir en entier, gratuitement. Plus qu’à feindre d’avoir été très effrayée et faire mon petit numéro ensuite aux mecs chargés de la surveillance pour me rapprocher un peu plus de la tête dirigeante. Mais avant, j’étais très curieuse de voir comment l’inconnu allait se débrouiller à trois contre un.

J’étais un peu déçue, je dois l’avouer. Je n’avais eu qu’à faire quelques gestes pour enflammer les esprits et causer une petite bagarre de bar qui servirait plutôt bien mes desseins. Mes trois idiots se dirigèrent à toute vitesse vers le bar pour attaquer l’inconnu que je venais d’embrasser alors que je me reculai, feignant un air indigné, effaré, effrayé et, surtout, vulnérable. Pourtant, à l’intérieur, j’espérais surtout que le solitaire sache se défendre, sinon ça n’allait pas être beau et je n’aimais pas trop mêler des innocents à ce genre d’histoire habituellement. Comme de juste, l’homme aux cheveux de feu ne trouva aucun compagnon dans la foule pour venir l’assister, il n’était donc qu’un malheureux voyageur qui s’était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment et qui ne savait même pas se battre. Remarque, pour un type avec une aussi grande gueule, je ne sais pas si c’est vraiment surprenant. Je suivis donc la scène des yeux et fut soulagée lorsqu’ils le jetèrent finalement à la porte. Je n’aurais pas pu intervenir en sa défense sans risquer de briser ma couverture, mais je n’aurais pas décemment pus le laisser se faire maltraiter de la sortes sous mon regard plus longtemps. Donc, voilà, il était sortit de ce petit mauvais pas et le chef de ma petite bande revint vers moi avec un sourire triomphant avant de faire mine de passer son bras à mes épaules. Je lui jetai mon regard indigné et chassai son bras du plat de ma main.

- Vous m’aviez dit que c’était le meilleur endroit de la ville! C’est tout ce qu’elle a à offrir votre ville?! Et puis si vous connaissez vraiment des gens, pourquoi on n’y est pas allés directement, au moins il n’y aurait pas de gens dans son genre pour nous empêcher de prendre notre pied, non?

Il me regarda d’un air un peu embêté, puis regarda ses compères qui le poussèrent à accepter ma requête. Je leur aurais demandé n’importe quoi que je pense qu’ils se seraient exaucés sans un seul moment d’hésitation. Nous nous mîmes donc en route, bras dessus bras dessous, riant bruyamment, bouteilles de saké en main, zigzaguant dans la rue en chœur. J’eu une pensée pour l’homme qu’ils avaient chassé, mais ne le vis pas dans les rues. Sans doute était-il repartit comme il était venu? Peu importe, s’il était en assez bon état pour marcher, ce n’était plus mon problème et j’espérais bien ne plus jamais le rencontrer. Je l’avais quand même embrassé après tout et je n’avais pas envie que ça se sache, je ne suis pas si facile que ça d’habitude, voyez? Je crois que je devrais demander à être affectée à un type de mission différent, ça me ferait du bien de ne pas jouer les fanfaronne en permanence. Quoi qu’il en soit, nous gagnâmes un petit bâtiment aux murs fait entièrement de fenêtre sur les deux derniers étages, qui étaient au nombre de cinq en tout. Ma cible se trouvait probablement dans le penthouse, c’est là que je devrais...

Une silhouette fit irruption de la grande porte du building, une silhouette que j’avais déjà vue auparavant et qui fit glisser un frisson le long de mon échine. De longs cheveux noirs remontés en une queue de cheval, un regard argenté, un corps svelte et un air de serpent. Il était flanqué de deux gardes du corps et portait un kimono de qualité, c’était une certitude. Je déglutis avec difficulté, espérant que cet individu ne me repérerait pas. Ichimaru Suzaku, fils d’un yakuza particulièrement influent une vingtaine d’années plus tôt. J’avais déjà croisé le fer avec lui dans le pays de la roche il y a de cela plusieurs mois et le tout c’était soldé avec la mort de l’un de mes coéquipiers dans un féroce brasier, résultat d’une explosion calculée par Suzaku pour détruite toutes les preuves de son implication dans de sombres affaires. Et, bien sur, il me repéra. Son regard d’argent me détailla de haut en bas alors que son sourire s’étira beaucoup trop grand et qu’un rictus sonna tel un glas dans la nuit. Les hommes m’accompagnant se figèrent également, le connaissaient-ils ou pas? Aucune idée, mais dans les deux cas, rien ne donnait l’envie de se rapprocher de cet être venimeux. Ce fut lui qui marcha vers nous à pas calculés, laissant ses gardes derrière. Il se planta devant moi et effleura ma joue du bout de ses doigts glacés, plongeant son regard dans le mien tel des poignards dans ma chair alors que mon souffle se coupe.

- J’espère que tu passes une belle soirée, Hirako Yuuki.

Le nom que je lui avais donné deux ans plus tôt alors que j’avais fait un manège plutôt semblable pour atteindre son bureau, il l’avait craché comme s’il s’agissait de la peste en personne. Il l’avait dit avec haine et mépris. Pour lui les noms étaient importants et la neige n’était en aucun cas un nom digne pour une fille de ma trempe, selon lui toujours. Mais pourquoi m’avoir appelée de la sorte? Il connaissait au moins mon vrai prénom, alors pourquoi? Bien sur, il avait compris que je n’étais ici que par devoir et s’attendait à ce que j’use toujours du même faux nom pour ces besognes, et il avait tout à fait raison. Il savait ce que j’étais venue faire et il n’avait pas l’intention de m’en empêcher. Je plaignis Kaein de s’être mis à dos Ichimaru, il n’en ressortirait pas vivant. Soit je l’amenais avec moi dans les geôles d’Iwa où des hommes de Suzaku, déjà incarcérés, trouveraient le moyen de le tuer, soit j’échouais et les hommes de Suzaku le tueraient ici même, dans son penthouse. À moins que ce ne soit déjà fait?

- On t’a volé ta langue, jolie fleur?

- Je passe une très agréable soirée, merci de votre intérêt pour mon humble personne.

J’avais tressailli. Il ne parlait pas de fleur par hasard, il me narguait. J’avais tout de même réussi à soutenir son regard et à ne pas paraître trop perturbée. Le chef du groupe m’accompagnant tenta d’avancer d’un pas, comme pour se dresser entre moi et Suzaku, mais un simple coup d’œil de ce dernier suffit à le figer sur place. L’homme rit de nouveau, déversant son venin sur nos personnes, avant de tourner les talons et de repartir avec ses gardes, comme si de rien n’était. Je pu recommencer à respirer, comme si tout d’un coup toute la pression accumulée depuis son arrivée retombait. Mes idiots échangèrent un regard interrogateur, mais aucun d’entre eux ne connaissait l’homme. Ils ne devaient pas être assez haut placés. Quoi qu’il en soit, nous poursuivîmes notre chemin alors que mon cœur se serrait. Quel ne fut pas mon soulagement lorsque nous atteignîmes finalement le penthouse pour retrouver ma cible, vivante, affalé dans un grand divan avec une bouteille de saké à la main. Il avait le regard vitreux et la mine renfrognée. J’ignore quel avait été le contenu de sa discussion avec le serpent, mais ce ne devait pas être quelque chose de bien agréable. Il délaissa toutefois ses pensées à notre arrivée et son regard s’illumina à ma vue.

- Ah! Génial! Vous m’avez emmené de quoi passer une meilleure soirée on dirait!

- Non Kaien-sama! C’est nous qui l’avons trouvé, aller!

- Et alors? Aller chérie, enlève tout et danse un peu, tu veux?