Bloodthirsty Carnival

« Il vaut mieux avoir vécu vingt-cinq jours comme un tigre qu'un millénaire comme un mouton. »

Étendu de toute son ampleur sur un lit immense, le Yaken  lâcha un bâillement sonore en gigotant. La soirée avait été dure et c’est avec une admirable gueule de bois qu’il émergea des limbes du sommeil, jaugeant l’environnement autour de lui. Il avait réussi à se rapatrier, et c’était déjà une petite victoire sur les spiritueux. Une de plus, parmi une liste toujours plus longue... Après un soupir prononcé, il s’éleva sur ses deux jambes à tâtons en avançant tant bien que mal au travers de la pagaille régnant dans cette mansarde. Attrapant avant de partir un pantalon et son paquet de cigarettes, il l’enfila dans le vaste couloir qu’il venait de rejoindre. En effet, lui et son partenaire avaient plus ou moins récemment investis dans la construction de cet endroit caché à la vue de tous, sous les plaines de Kusa no Kuni.

Une fois la pièce commune atteinte, il se servit son café lentement, grimaçant en joignant au nectar un tube de tabac à ses lèvres. A première vue, son partenaire de galère à la peau foncée ne trainait pas dans les parages, ce qu’il lui parut étrange. Ils étaient partis ripailler ensemble et Roki se résolut à penser qu’une jolie nymphe l’avait retenu dans ses filets pour la nuit. Haussant les épaules à ses propres pensées, il se laissa tomber sur le divan au milieu de la pièce, son regard plongé dans le fond de cette tasse. Si sa mémoire ne lui faisait pas défaut, aujourd’hui se présentait une opportunité de taille. Shaun l’avait peut-être oublié, mais un rendez-vous des plus intéressants avait été assigné à ce jour. Se résignant à s’en charger seul, il laissa sur la table basse en face de lui le contenant vide, puis se leva en direction de la sortie après avoir enfilé une chemise noire lambda.

Avant de quitter le repaire, il griffonna quelques kanji sur un morceau de papier qu’il apposa au mur près de l’entrée, signifiant plus ou moins « Je vais régler l’affaire ». Une fois le dispositif -empêchant de faire de cet endroit un moulin- passé, l’héritier eut tout loisir d’être frappé par les rayons de l’astre solaire, particulièrement ardent ce jour-là. À vue de nez il n’était pas plus de midi, lui laissant un peu de temps avant de rejoindre son supposé interlocuteur. Il ne savait pas grand-chose de cet homme, l’entrevue ayant été arrangée par un contact commun, mais si les choses se passaient dans son sens, il pourrait bientôt agrandir encore un peu plus ‘l’entreprise’ fraternelle.

Commençant à fouler l’herbe verte caractéristique à cette petite contrée, il errait seul au milieu de l’immensité de la nature, comme perdu. Pourtant la Bête savait bel et bien où aller, et comment. Sa destination n’était autre qu’un petit village d’horticulteurs, proche de la frontière commune avec Ame. Quelques kilomètres le séparaient du point de réunion, qu’il se mit à parcourir à une allure particulièrement lente, à contrario de son habitude. N’étant pas un grand fana des retards, il restait la proie d’un farouche mal de crâne dû à sa beuverie de la veille, et il en découla le fait que Roki ne veuille pas se hâter.

Le chemin fut sans embuche, l’éphèbe s’étonnant même de ne pas croiser le moindre gueux. Ayant eu tout le temps de ruminer diverses théories et façons de se sortir d’un mauvais pas au cas où les choses tourneraient mal, c’est confiant qu’il pénétra dans l’amas de chaumière, censé représenter le plus gros du patelin. Il trouva vite le seul et unique troquet des alentours, dans lequel il pénétra en utilisant un Henge, lui donnant l’apparence d’un quidam loin de tout soupçons. Loin d’être paranoïaque, ce genre de mesures restait utile en cas d’interrogatoire par un ami shinobi à la recherche d’informations sur notre Kaguya.

Jaugeant les quelques pecnots présents dans la salle d’un rapide regard, il posa son fessier sur un tabouret près du comptoir, commandant une liqueur de fruit avec la ferme intention de combattre le mal par le mal. Ingurgitant le liquide, ses doigts pianotaient minutieusement le bar alors qu’il s’évertuait à faire preuve de patience. Habitué à brasser une grande quantité d’argent, stagner dans ce genre de bistrot miteux était loin d’être une coutume, la Bête préférant le faste et le luxe pour dépenser son temps et ses ryôs. Mais soit, il n’avait de quelconque plaisir à se trouver là et tout ce qu’il espérait c’est que la rencontre se déroule rapidement pour pouvoir vaquer à ses occupations. À la tête d’une firme importante et sans Shaun pour prendre le relais -celui-ci ayant décidé de s’offrir de petites vacances-, le business restait sans tête pensante. Ce n’était pas impératif, mais l’homme à la crinière nacrée préférait que les choses soient carrées, paradoxalement puisqu’il lui arrivait aussi de s’adonner à ces petites virées.

Son attente fut bientôt récompensée par l’entrée d’un homme qui n’avait lui, pas pris la peine de se vêtir de quelconque déguisement. Il était là, debout au milieu des gens en haillons vêtu d’un smoking, deux gardes du corps sûrement Kumojin le collant au train. Dépité par tant de maladresse pour quelqu’un qui avait la réputation d’un professionnel, il se leva en silence sans croiser leurs regards pour s’asseoir au fond de la pièce, à une table loin de l’agitation. Roki fut vite rejoint par l’homme qui laissa ses gorilles monter la garde en dehors de l’établissement, après un bref regard échangé. Ses deux yeux rouge vermillon étaient restés tels quels, assez expressifs et malsains pour aiguiller à cette parodie d’aristocrate qu’il était l’homme pour qui il avait fait le déplacement.

Une fois assis, le Kaguya eut le loisir d’être toisé par le costumé. C’est vrai qu’avec cette apparence, il n’avait pas l’air bien crédible aux propos qu’on rapportait de lui. Vieux et barbu, en guenilles, elle était loin l’image de l’homme dans la fleur de l’âge. Ne s’en faisant pas pour si peu, il se mit à fixer son interlocuteur en attente d’un début de dialogue.


Roki savait bien ce qu’il faisait, et l’homme en face de lui avait plus à offrir qu’il voulait bien le faire croire. Ce genre de caïd disposait d’assez de moyens pour verser des pots de vins aux bonnes personnes et les secrets ne résistaient jamais bien longtemps à l’appât du gain. Bien sûr les incorruptibles étaient monnaie-courante, et avoir accès à des informateurs supplémentaires pouvaient vite se révéler difficile. Aller jusqu’à négocier avec un des patrons travaillant sur un territoire loin du sien ne l’enchantait guère, mais si c’était la solution pour avoir des pistes sur lesquelles se lancer alors il y était forcé. Shaun n’avait pas émis de réserves sur le fait d’exporter une partie du produit, alors c’était l’occasion rêvée.

Celui dont la Bête ignorait le nom continuait de le regarder sans dire un mot, comme s’il méditait sur sa prose. Rater cette aubaine serait sûrement un regret pour l’un comme pour l’autre. Le caïd pesait sûrement le pour et le contre, et le jeune homme métamorphosé en profita pour se lever quelques secondes le temps d’attraper une bouteille de saké et deux coupelles. Il les remplit toutes deux, puis poussa celle destinée à son voisin de table du bout de son index. Si le quadragénaire la buvait, cela représenterait la réussite de ce marché, et dans le cas contraire, ce déplacement deviendrait inutile. Ses iris fixés sur le récipient, les secondes lui paraissait comme une véritable éternité.