Ma nuit avait été, une nouvelle fois, encore bien agitée. Au point où le sommeil m'avait quitté quelques heures plus tôt, me laissant las et seule dans une chambre vide et sombre. Le manque de sommeil finissait par s'emmagasiner, les nuits blanches que je passais s'entassaient les unes sur les autres, et je sentais déferler en moi une vague de colère qui risquait d'exploser d'un instant à l'autre. Le premier qui viendrait à croiser mon chemin et à m'adresser la parole risquerait certainement d'être le déclencheur. Et si je parvenais à me contenter uniquement de quelques paroles glaciales prononcés sur un ton des plus offensif, c'est qu'il avait une chance du Diable.
C'est ainsi que je découvrais que l'astre nocturne régnait encore en maître, cependant que je quittais la petite auberge dans laquelle je m'étais établie pour la nuit. En réalité, je pense que mes cauchemars ne venaient pas par le fruit du hasard. Non, j'aimais la nuit. Alors que tout est calme, que quasiment rien ne bouge. Une véritable quiétude s'installait de part le monde entier. Et j'aimais ça. Oui, de tout mon coeur même, si tant est qu'il puisse encore exister quelque part. Peut-être que les ténèbres qui s'installaient et qui restaient là me rappelait les longs discours prononcés par ces Hommes qui avaient fait de moi ce que je suis désormais. Le seul foyer que je n'ai jamais posséder, et ça restait un souvenir apaisant. Comme une femme pourrait se rappelé son enfance, dans le creux du bras de sa mère. Cet épisode n'existait pas chez moi. Et je ne m'en portais pas plus mal.

Mon errance avait duré un assez long moment, jusqu'à ce que l'astre diurne se lève et fasse son triomphe, inondant de ses rayons le monde m'entourant. Tout était devenu lumière, et un petit vent frais parcourait la plaine que je traversais. Une personne normalement constituée se serait certainement arrêté un instant, pour lever les yeux vers le Soleil, tout en profitant de la brise sur son visage. Mais non. Pourquoi aurais-je fait cela ? C'était complètement inutile. Autant que je continue ma route, je continuerais d'être caressé par ce petit vent quoique je fasse.
La colère qui était née en moi ce matin semblait s'être un minimum apaisée. Du moins, cela était certainement dû au fait que je n'avais pas encore croisé âme qui vive ( à part éventuellement un oiseau. ) et donc, n'avait pas pu me mettre en rogne sous un motif valable. La solitude ne me dérangeait nullement. Généralement, les Hommes s'entourent mal, et ils souffrent de cela. Si nous étions tous des solitaires vagabonds, les choses seraient peut-être mieux. Mais non, il y avait fallu que l'on créer ses villages et qu'on commence à parler d'Amour et d'Amitié. Quelles foutaises... Définitivement, je ne pouvais m'empêcher de songer que ce monde n'était pas le mien et ne le serait jamais.

J'étais arrivée au Pays de l'herbe la veille, juste avant de rejoindre l'auberge que j'avais quitté le matin. Néanmoins, au fil de mes pas, j'avais continué de m'enfoncer peu à peu dans ce pays que je n'avais jamais visité. Et, dès lors, je comprenais pourquoi on lui avait donné ce nom. La végétation, qui, au départ ne semblait pas plus différente qu'ailleurs, se retrouvait bien vite particulièrement luxuriante et presque entravante. Néanmoins, mes pas ne se faisait pas lourd au fil du chemin parcouru, non c'était simplement une sensation dérangeant, cependant que les herbes me fouettaient les mollets à chaque mouvement. J'imaginais avec beaucoup de mal qu'un ninja plus petit que moi puisse se déplacer avec aisance ici. Cependant, elle possédait un avantage certain, puisqu'elle se mouvait au moindre contact, je pouvais ainsi repérer un quelconque assaillant qui aurait voulu se jeter sur moi.
Finalement, j'arrivais au niveau d'un pont, reliant deux bandes de terres qui se trouvait séparé par un courant d'eau. Et là-bas, de l'autre côté, un ninja semblait profiter de la quiétude du vent et du soleil qui s'associaient parfaitement. Ce n'est que lorsque je m'avançais sur ce chemin qu'il me remarquait enfin, et sa réaction me rassurait intérieurement. Loin d'être trop pris par son repos, il m'avait repérée et se mettait en position d'attaque. Criant à mon intention qu'il n'hésiterait pas à attaquer, cependant qu'il brandissait une épée particulièrement imposante. Mais le retour de flamme ne se trouvait pas là, en effet, je n'avais aucune raison de vouloir l'attaquer, et je continuais mon chemin en silence. Le tout, sans jamais hausser le moindre sourcil. Néanmoins, ce fut lorsque j'entendais ses menaces, m'insultant de gamine, que le feu de l'énervement remontait en moi. Le toisant d'un oeil froid et agressant, je m'apprêtais à lui répondre d'une voix sans âme.

- Une gamine ? Soupirai-je. Si j'en aurais été une, saches que tu ne serais déjà plus de ce monde pour pouvoir rétorquer la moindre chose. Ranges ton arme, elle ne te servirait à rien de toute évidence. Mais si tu souhaites vraiment t'en prendre à moi, saches que je n'ai nullement peur du trépas, c'est plutôt toi qui devrait t'en méfier. Laisses-moi passer et il ne t'arrivera rien, résistes et je devrais le faire par la force. J'imagine que tu veux seulement profiter de la quiétude du jour sans t'embêter d'un combat inutile. C'est aussi mon cas alors ne cherche pas à te tromper trop sûr de toi.

Bien que le ton soit d'une nature assez froide, je n'avais nullement accompagné mes paroles d'un geste futile de défense. Je n'avais même pas pris la peine de me munir d'un kunaï. Il me laisserait passer, ça restait une certitude. Les traits de son visage m'informait presque de son âge, et je pouvais en déduire aisément qu'il se trouvait être plus jeune que moi. Une dent pointue sortait de sa bouche, semblant perforé sa lèvre inférieur, et ce petit détail lui donnait l'apparence lointaine de celle d'un requin. J'esquissais lors un bref sourire, ne lâchant nullement ce jeune homme du regard.

Son affreux discours commençait à m'irriter intérieurement. Après tout, qu'est-ce que cela pouvait bien lui faire que je vienne de Kumo ou d'ailleurs ? A mon opinion, se baser sur l'origine d'une personne pour en déduire tout son caractère restait une fable bien inutile. Certes, c'est l'éducation qui fait la personne, et certains villages ne sont certainement pas réputé pour être particulièrement bienfaisants. Bien loin de là.
Toutefois, et en dépit de la certaine logique parcourant ses propos, ceux-ci n'arrêtaient pas de m'énerver. Allez donc dire à une jeune femme en quête d'identité - car c'est que je suis réellement - qu'elle doit venir de tel ou tel village pour une raison totalement improbable dans le cas de figure actuel. Et essayer de ressentir les mêmes choses qu'elle. Vous n'y parviendrez pas, il faut l'avoir vécu pour le savoir, et, à priori, lui ne semblait pas en avoir été victime. Doucement, je plissais mes paupières, cherchant à faire un quelconque mouvement pour permettre à une partie de ma colère de s'évaporer. Puis, d'un ton clair mais froid malgré tout, je m'apprêtais à répondre à ces questions. Si toutefois on pouvait nommer cela comme une réponse.

- Oui, j'étais bel et bien sérieuse et je le suis toujours, annonçais-je tout d'abord. Et pour te répondre, non, je ne viens nullement de Kumo. Je ne viens de nulle part. Et puis, qu'est-ce que cela pourrait te faire de savoir exactement qui je suis ? Nous ne nous connaissons pas, et je ne pense pas que tu puisse m'être d'une grande aide. En admettant, bien évidemment, que je n'ai besoin de personne.

Et surtout pas de toi. Néanmoins, cette dernière phrase restait bloquée derrière la barrière formée par mes lèvres. A quoi bon lui lancer cette remarque cinglante, si ce n'est vouloir envenimer la situation ? Cela ne servait à rien. Toutefois, il était bien vrai que je n'aurais pas aimer de me faire accompagner par cet homme. Rien que la façon qu'il possédait de se sur-estimer face à moi avait le don de m'écoeurer, cependant qu'il continuait à me nommer " fillette " devant son air juvénile, je pouvais estimer nos années de différences aux alentours de cinq ans, voire même peut-être plus. Enfin, il pourrait tout de même mettre sa folie sur le compte de son jeune âge, l'insouciance fait souvent faire des choses idiotes.
Enfin, ma voix s'élevait derechef, cherchant à savoir qui était cet énergumène. Même si je n'avais jamais été d'un naturel curieux, il fallait bien avouer que la moindre des politesses était de se présenter également lorsque l'on souhaitait connaître l'identité d'une tierce personne. Et visiblement, il n'avait pas non plus assimiler cette habitude.

- Et toi ? Qui es-tu hein ? Un gamin errant qui cherche un peu de reconnaissance dans la provocation Tout en espérant que ses opposants potentiels ne décident pas de dégainer les armes ? Allé, va. Je n'ai rien d'autre à te dire.

Et sur ces derniers mots pleins d'une froideur certaines, je m'apprêtais à prendre la poudre d'escampette, traversant finalement ce qui restait à parcourir du pont.

Mon visage se fermait derechef. Quand bien même aurais-je pu conserver mon calme et ma patience, ceux-ci commençaient à se tarir. Et désormais, je n'espérais plus qu'une seule chose : pouvoir partir. Je ne trouvais aucune réel intérêt à rester avec lui, ici, si ce n'est me lancer dans un débat inutile et idiot. Et moi qui pensait que mes paroles avaient été assez brusques pour le faire taire. Et bien non. C'était comme jeter de l'huile sur un immense foyer enflammé. Voilà uniquement ce qu'avaient causé mes paroles. Néanmoins, je ne regrettais pas de lui avoir fait part du fond de mes pensées. Au moins, les choses étaient claires, et tant pis s'il se trouvait ennuyé par de telles vérités. Peut-être que je ne m'étais d'ailleurs pas trompée, d'ailleurs, si cela se trouve je ne faisais pas du tout fausse route.
Mes yeux d'un bleu profond se plantaient alors sur lui, le toisant avec une animosité sans pareille. Je savais très bien que la colère commençait à se faire réellement présente en moi, et hélas, ce n'est pas ce visage plein d'estime singulière qui réussirait à la faire descendre.

- Qui te dis que je suis une gamine ? Qui te dis que je n'ai pas une dizaine d'année de plus que toi ? Hein ? Alors arrêtes un peu de faire jouer cet argument totalement stupide. Nous ne nous connaissons pas et nous ne sommes pas des ennemis. Je me contre-fiche de ta présence, que cela soit ton territoire, ou même que tu aies décidé d'élire domicile sur ce fichu pont. Je ne veux que passer et j'estime que tu m'as retenu suffisamment longtemps, annonçais-je d'une voix qui se voulait particulièrement implacable.

Derechef, mon regard se faisait fixe et tellement froid qu'il aurait pu réveiller un mort. Je me trouvais être particulièrement irritée en cet instant précis. Et si je ne quittais pas les lieux dans les minutes qui suivraient, je pense que quelques coups seraient alors échangés.
Néanmoins, je continuais de faire quelques pas dans la direction qui m'importait, ne cherchant plus à lever le regard vers lui. Après tout, il n'en valait pas réellement la peine. Et s'il souhaitait tant que cela à se mettre définitivement sur ma route, il me suffirait alors de le tuer. Rien de plus simple ni de contraignant, la situation pouvait se régler facilement. Une dernière fois - ou du moins, j'espérais que cela soit la dernière - mon regard se posait alors sur lui, comme pour donner le dernier avertissement avant que je ne lui tourne définitivement le dos. Le problème était réglé, nous n'avions rien à voir l'un et l'autre, et, ainsi, je pouvais tout simplement m'éclipser. Ce jeune homme n'était rien d'autre qu'un ninja errant, à mon instar, que j'avais croisé lors d'une longue marche qui commençait, elle aussi à m'épuiser.

Nonobstant ma décision de partir, je craignais tout de même d'entendre une fois encore sa voix s'élevait dans les airs. Et celle-ci me forcerait alors sans doute à me tourner dans sa direction pour lui adresser une quelconque parole et lui faire entendre à quel point cela me dérangeait. La conversation s'était peut-être terminé dès cet instant, et je l'espérais. Après tout, la compagnie humaine ne m'avait jamais réellement plu, et ce n'est pas avec lui que cela allait commencer à changer. Ho que non.